"Présence des formes" - village Les Angles (près d'Avignon) (30) - 1988 A – Ainsi, c’est avec de la ficelle qu’il s’est mis à aborder l’espace puisqu’il ne pouvait pas s‘acheter de laser. D’ailleurs s’il appelle sa ficelle le laser du pauvre ce n’est par dépit puisqu’en fait c’est de l’espace qu’il veut parler. C’est ainsi qu’il a poursuivi ses préoccupations présentes dans ses peintures où il cherchait à rendre la lumière dans l’espace. Comme je vous disais qu’il ne pouvait considérer l’espace sans les objets qui l’habitent, il a porté une attention à l’environnement qui accueillerait ses interventions. P – Ce n’est pas de la sculpture, il me semble. A – Vous avez raison. Certains parlent d’installations, lui nomme cela des investissements. Si on devait encore évoquer la sculpture on devrait dire que ce sont les objets, l’environnement qui deviennent la sculpture et ses lignes un réseau de relations. Certains évoquent l’image de toiles d’araignées. Ils n’ont pas totalement tort car l’araignée s’appuie sur les objets présents pour tisser sa toile. Mais ce que réalise l’araignée est un objet, dans l’espace certes, mais cela demeure un objet autonome avec une finalité, alors que ses lignes n’ont aucune autre finalité que celle de matérialiser les relations et ainsi nous révéler ces relations spatiales qu’entretiennent les objets présents. P – C’est abstrait et intellectuel tout ça. A – On pourrait en dire tout autant de vos travaux. P – Comment ça ? A – Ben, ne me dites pas que ce que vous avez peint correspond à la réalité. C’est une réalité sur laquelle vous aviez besoin de vous appuyer mais que vous interprétiez pour nous livrer les relations, si je peux dire, que vous entrevoyiez. Même si la composante sensible est présente c’est tout de même le résultat d’une pensée. P – Oui mais une pensée du corps, pas de la tête. A – Bien sûr, mais si on ne détache pas la tête du corps… Tenez, ça me fait penser à Mondrian. On peut faire des Mondrian à la pelle avec des machines mais lorsqu’on est face à une peinture de Mondrian on perçoit immédiatement ce qu’elle a de sensible et ce que la machine a de froid. Je pense tout particulièrement à sa série sur l’arbre où on voit, au fil des tableaux, comment cette pensée extrait lentement ce qui finira en simples droites. Mais des droites faites au pinceau, avec toutes ces petites imperfections, font la différence avec une pensée purement intellectuelle détachée de la sensibilité et sans vibrations. Tenez, encore, un mathématicien peut penser à une droite, il la voit disons dans sa tête. Il ne ressent pas nécessairement le besoin de la représenter. C’est tout de même autre chose si cette droite est représentée par une ficelle ou un trait de crayon, un sillon gravé. Elle conservera son idée de droite mais elle aura la sensibilité de ce qui la représente. Mon ami m’a dit que c’était, inconsciemment au départ, la raison pour laquelle il a décroché des mathématiques. Il aimait les mathématiques – cette façon de penser – mais il avait besoin de la matière sensible. Silence A – Je pense encore. Je pense à votre tête de taureau composée d’une selle et d’un guidon de vélo. Dans cet exemple vous concrétisez ce que nous avons de pensée d’une tête de taureau. Nous avons vu des têtes de taureau et à notre insu s’est imprimée une image abstraite de la tête d’un taureau que nous n’avons jamais épluchée. Par ce rapprochement de deux objets décalés de la réalité, par leur simplicité, vous nous exposez cette abstraction qui est la relation qu’entretiennent entre elles toutes les têtes de taureau. Mais cette abstraction s’incarne dans ces deux objets familiers que nous n’aurions pas songé rapprocher. C’est pour moi intellectuel mais d’une intellectualité sensible. Vous êtes bien d’accord qu’un scientifique n’aurait jamais décrit ainsi la chose mais quand il verrait votre sculpture-assemblage il reconnaitrait comme chacun une tête de taureau et que cette image restera gravée dans sa mémoire.
P – Qu’est-ce que tu es bavarde, Aphrodite. A – Et vous donc, mais c’est avec le crayon… tous ces dessins. Vous n’arrêtiez pas.
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Auteurartiste plasticien et mathématicien je ne saurais séparer les deux. Archives
Mars 2019
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