Ndlr : Ici c'est le monde à l'envers. Les premiers sont les derniers. Nous vous invitons à remonter jusqu'à la première page pour suivre le fil de la discussion. A – Vous vous êtes reposé ? P – Oui. J’en avais besoin. Ton histoire, ton ami m’intéressent mais je n’ai plus la même énergie. A – On peut continuer ? P – Bien sûr. A – Pendant que vous vous reposiez j’ai revu certains de vos travaux. Celui-ci par exemple. On dirait ma tante. Un peu tordue mais elle était tordue. On allait la voir quand on était en manque. Elle nous prêtait de l’argent mais fallait toujours laisser quelque chose en gage. Mes parents ont eu beaucoup de démêlés avec elle et je n’aimais pas lorsqu’on devait aller chez ma tante. P – Ça me rappelle quelque chose… il y avait une expression … A – On continue ? P – Tu continues. Tu ne ressembles guère à ta tante. A – Normal. Nous Sénoufo, pas elle. Je continue ou bien je vous parle de ma tante ? P – Continue. A – Je vous parlais de cette anamorphose sur l’eau qu’il a réalisée. En fait elle était constituée de deux éléments. Le premier était une croix qui fonctionnait comme une anamorphose habituelle. L’autre était, pour simplifier, un cercle posé sur l’eau, donc pas en anamorphose. Bien entendu, lorsqu’on regardait, les deux éléments étaient vus en perspective. Lorsqu’on se déplaçait, la vue en perspective des deux éléments créait un contraste, comme une ambiguïté. La croix déformée semblait se redresser alors que le cercle nous semblait toujours demeurer un cercle. Par ce contraste on avait vraiment l’impression que la croix se relevait de l’eau alors que le cercle semblait toujours y flotter. L’explication qu’il me donna de ce phénomène paradoxal est le suivant. La croix qui, du point de vue où on l’abordait (depuis la route en passant) ressemblait plutôt à un ciseau prenait petit à petit, en nous déplaçant, la forme d’une croix régulière. De son côté le cercle qui était perçu comme une ellipse lorsqu’on abordait demeurait toujours une ellipse. Bien sûr cette ellipse se déformait mais demeurait ellipse. C’est alors qu’il évoquait que cette ellipse, comme une image subliminale, était perçue comme un cercle et demeurait cercle dans notre esprit tout au long du déplacement. Nous ne voyons jamais de cercle, ce ne sont que des ellipses car il faut que notre regard soit exactement perpendiculaire au plan du cercle. Hors c’est très rare. Cependant comme on nous a dit que c’était un cercle, on associe cette image elliptique perçue à celle du cercle et c’est cela qu’on intériorise. Donc quel que soit l’ellipse on y associera l’idée de cercle et du même cercle, même si on voit bien l’ellipse se déformer Ainsi, dans notre déplacement les déformations de l’image de la croix et du cercle suivent dans notre cerveau deux évolutions différentes. : la croix se confirme alors que le cercle ne semble pas évoluer. Le contraste induit dans notre esprit l’illusion que la croix se redresse alors que le cercle demeure sur l’eau. Bon, de plus comme je vous disais qu’il était attentif aux détails du lieu il avait pris soin de placer la croix à cheval sur la vanne de purge de l’étang, comme vous le voyez sur la photo. Ce qui accentuait l’effet de redressement. On avait l’illusion que la croix décollait de l’eau en échappant, de plus, à la vanne. Notez également, puisque tout avait été calculé au préalable et préparé en atelier, Notez qu’il avait choisi le bon point de vue non pas sur la berge mais sur l’étang et que pour vérifier exactement il aurait fallu marcher sur l’eau. Bien entendu en nous approchant de la berge on voyait l’image se confirmer mais au final on était frustré.
P – Plutôt calé ton ami et plutôt qu’un calembour, ou une cale en bourre je dirais que c’était une sacrée vanne qu’il nous livrait. A – C’est comme ça qu’il aime s’amuser avec les maths. Faites l’humour pas l’amère, même si ici plutôt que de la mer on devrait parler d’étant. P – Passe l’étang,… sonne l’heure… ça me rappelle mon ami Apollinaire… aïe, aïe, aïe bien de l’eau est passée sous le pont Mirabeau depuis.
1 Commentaire
A – Puisque vous avez parlé d’anamorphoses, pour faire une parenthèse, je vous dirais qu’il s’y est intéressé à l’occasion. Une anamorphose, comme vous savez, c’est une image ou bien un objet qui est fait pour être regardé et qui trouve son sens lorsqu’on est au bon point de vue. Si elles ont eu leur heure de gloire juste après et comme suite aux recherches des perspectivistes, elles étaient tombées en sommeil. Depuis quelques décennies elles ont trouvé un regain d’intérêt auprès de certains artistes contemporains dont les noms ne vous dirons rien, Monsieur Picasso, puisqu’ils ont commencé à s’exprimer après votre départ. Il y a différents moyens techniques pour produire une anamorphose. Par exemple on peut depuis le point de vue, qu’il faudra retrouver lorsque l’anamorphose sera réalisée,… depuis le point de vue, projeter l’image correcte – celle qu’on verra correctement - sur le support - que ce soit un tableau, un mur ou toute autre surface. Mais on peut également calculer mathématiquement l’image projetée sans avoir recours à l’image d’origine et sans se placer au point de vue. P – Comment cela ? Je connaissais la première solution mais qu’est-ce que vous me dites là ? A – Eh bien, c’est un problème de géométrie projective comme mon ami me l’a dit. Attendez… que je me concentre. C’est délicat pour moi, mais je vais essayer. Je ne vous dis pas que je serais en mesure de faire les calculs mais je pense pouvoir vous décrire le principe. Voilà. Lorsque vous regardez une image, un objet c’est comme si vous preniez une photographie. Disons si vous êtes borgne ou bien que vous fermez un œil. Depuis le point de vue à l’intérieur de l‘appareil photo, ou bien à l’intérieur de votre œil vous faites une projection sur la pellicule ou bien votre rétine. C’est un peu comme si vous tendiez une ficelle depuis votre point de vue jusqu’à l’image. Là où elle traverse votre pellicule ce sera le point image de l’objet où l’autre bout de la ficelle s’accroche. P – Ça me rappelle les systèmes exposés par Dürer, par exemple. A – Exactement. Ou bien la camera obscura. Rien de nouveau :-) :-) P – Les peintres s’en sont bien servis avant l’arrivée de l’appareil photographique. A – Sans doute. Dans le cas de la photo, ou de la peinture selon la perspective, l’objet réel existe et c’est son image (déformée en un sens) qui s’imprime sur la pellicule ou la toile. Dans le cas de l’anamorphose on aurait l’image déjà imprimée sur la pellicule et on tendrait une ficelle depuis le point de vue à l’intérieur de l’appareil photo et là où celle-ci viendrait rencontrer un obstacle, une surface on viendrait l’accrocher ou bien marquer d’un point. A charge de répéter l’opération. Le projecteur de cinéma ou de diapositive, maintenant les vidéo projecteurs, font cela et ne font que cela. P – Oui, mais où sont les calculs là-dedans ? A – J’y viens. La ficelle, l’image sur votre pellicule, votre point de vue peuvent se « mathématiser ». Ne me demandez pas comment. Lui vous expliquerait mais, comme moi, pas sûr que vous compreniez. Les seules choses que j’ai retenu c’est que la ficelle c’est mathématiquement une droite, la pellicule un plan et le point de vue un point. Toutes ces ficelles tendues depuis le point de vue qui coupent la pellicule c’est comme des droites qui traversent le plan et convergent au point de vue. Il m’a dit que tout cela pouvait se mettre en équation et qu’au final ce n’était qu’un problème algébrique à résoudre. P – Oh, là ça me dépasse. A – Attendez. Il dit que puisque tout ça c’est du calcul, on n’a pas besoin d’avoir réellement le point de vue. P – Comment ça ? Je commence à être perdu. A – Attendez. C’est seulement pour les calculs qu’on n’a pas besoin du point de vue. On le retrouvera réellement quand tout sera achevé. C’est le point où il faudra se placer. Mais pendant tout le calcul ce point est, on pourrait dire, virtuel. Est-ce que vous voyez où il veut en venir ? P - Pas du tout petit programme pour calculer une photographie ou bien une anamorphose A- Eh bien, ce point réel, comme on peut le placer comme on veut dans la phase de calcul, eh bien, ce point on peut décider de ne jamais pouvoir l’atteindre quand tout sera achevé. P – Je ne vois vraiment pas l’intérêt. A – Attendez. On peut placer ce point de sorte qu’en vous en approchant vous sentiez l’image déformée se redresser, c’est à dire de plus en plus correcte mais jamais exacte. Ainsi vous chercherez à atteindre le bon point de vue mais vous n’y arriverez pas. P – Je saisis mieux. Il joue sur la frustration. Super. A – Oui, la frustration et aussi faire un peu la nique à ces histoires d’anamorphoses qui n’ont rien de poétiques à ses yeux. Comme il dit : « Quand les gens cherchent le point de vue on dirait qu’ils cherchent soit à mettre en défaut l’auteur ou bien se prouver à eux-mêmes qu’ils ont trouvé la solution. Comme la solution à un problème mathématique ou une énigme et cela n’a rien de poétique ». Bien, à l’époque de la découverte de la perspective et de l’anamorphose, on peut comprendre. Cela semblait mystérieux et on pouvait avoir l’impression de soulever le voile qui occultait la compréhension. Mais de nos jours, depuis que nous nous sommes habitués aux appareils photographiques, il n’y a plus d’intérêt à ce jeu-là. Donc introduire de la frustration peut donner à réfléchir ou bien surprendre ou encore étonner. P – Un peu pervers mais ça me plait comme … point de vue :-)))
A – Moi aussi, c’est son côté espiègle. Car maintenant, par exemple avec les fameux lasers qui peuvent pointer très loin, si on prend une forme simple, un cercle par exemple on pourra aller pointer très loin en faisant accomplir le bon mouvement au laser. Le laser n’a pas besoin d’être puissant et pour quelques euros, (des francs pour vous) pourvu qu’on fasse de nuit on pourra étendre ce cercle sur des centaines de mètres. Il demeure bien un peu de surprise mais elle tient à la technologie. Toutefois rien de nouveau quant à ce que l’anamorphose peut recéler et les troubles qu’elle peut introduire. Je vais vous décrire une anamorphose qu'il a faite sur l’eau. P – Bon, ce sera assez pour l’instant, car même si je suis mort j’ai un certain âge. J’ai besoin de me reposer. Je vais aller rejoindre les bienheureux quelque temps. Mais on va poursuivre. "Superflux 08" - fête des lumières - Lyon (2008) A – Bavarde, disiez- vous. Je peux m’arrêter là mais il y a encore bien des choses à dire. P – Non, non, continue. Ça me change les idées. Tu ne peux pas savoir ce que c’est ennuyant de ne plus pouvoir travailler. A – Bien. Alors. Vous savez notre perception de l’espace peut nous « enduire d’erreur », si j’ose dire. P – Comment cela ? A – Eh bien, si je tire des ficelles entre des objets et que je ne voies plus les objets, Disons que nous sommes dans l’obscurité et que les lignes sont lumineuses. Je percevrai ces lignes comme des objets. Ainsi trois lignes droites, d’un certain point de vue, me sembleront définir un triangle dont les arêtes, par exemple, dépassent les sommets. Si je me déplace un peu, j’aurai l’impression que les sommets se déplacent sur les arêtes et puis à un certain moment je verrai que les arêtes ne se croisent plus. Il se pourra même que deux d’entre elles viennent se superposer. Comme nous sommes dans l’obscurité, que nous ne voyons que ces trois lignes, notre attention sera fixée sur elles. Nous oublierons que c’est nous qui nous déplaçons et nous aurons l’impression que ce sont les lignes qui se déplacent. J’ai eu l’occasion de le vérifier lors d’une de ses installations… alors que j’étais dubitative. Par ailleurs lorsque je tentais d’en saisir une, alors que je croyais en être proche, je n’arrivais pas à l’atteindre. Ma perception des distances était faussée. De même, alors que de l’endroit où j’abordais l’installation une des lignes me semblait verticale, en chemin je découvrais que ce n’était pas le cas. Notre perception de l’espace était faussée. En général lorsque nous abordons un endroit, instantanément et inconsciemment, nous construisons un schéma mental de l’espace en nous appuyant sur les objets en nombre qui s’y trouvent. Pour nous déplacer c’est par un calcul inconscient mais efficace que nous établissons notre trajectoire et par continuité si par hasard un mur ou une surface est présente. Lorsque nous ne sommes plus dans cette configuration, nos schémas habituels sont perturbés mais nous sommes emportés par nos habitudes qui ne sont plus valables dans ce cas. P – Dis donc, c’est presqu’une démarche scientifique que tu m’exposes là. A – Je ne saurais dire mais je sais que c’est ainsi qu’il aborde ses réalisations. Bien entendu il n’expose rien de cela et laisse au visiteur le soin d’y réfléchir ou pas…. une fois qu’il aura sensitivement éprouvé les perturbations. P – Je vois, il prend à contrepied nos habitudes et c’est notre corps par ses attitudes, son action qui nous conduit à réfléchir. A – Je continue. Un ligne droite pourvu qu’elle soit fine perd dans notre esprit sa nature sensible et devient comme un signe abstrait. Je parlais de la verticale. Nous avons intériorisé la notion de verticale puisque c’est une contrainte à laquelle nous sommes soumis depuis que nous marchons. Bien souvent ce qui est vertical dans notre environnement a une certaine épaisseur, un poteau, un arbre. Comme nous il est contraint par la pesanteur et, peut-être la tour de Pise mise de côté, on ne se pose plus de question : il est vertical. Aussi, si dans un passage je place une ligne sans épaisseur qui apparaît verticale lorsque je l’aborde, dans mon esprit elle s’inscrit comme verticale et je m’apprête à la contourner si besoin. Pourtant en avançant je découvre qu’elle fuit, quelle est oblique. Selon la situation je vais devoir me demander quand je devrais l’éviter. Ce n’est plus aussi simple et même je puis me trouver piégé et obligé de me courber car je m’y serais pris trop tard.
P – On dirait que tu as bien compris la leçon. A – C’est assez simple à comprendre quand on a eu l’occasion de faire l’expérience et qu’ensuite on vous explique comme je viens de le faire. Lorsqu’on vous explique sans avoir fait l’expérience c’est abstrait mais croyez-moi en faisant l’expérience les questions surgissent simplement et si on ne réussit pas à trouver par soi-même les réponses, pourvu qu’on vous les expose - je me répète - cela devient simple à comprendre. P – Ça me fait peser aux anamorphoses dans un certain sens. A – Vous n’avez pas tort car c’est la confusion entre … attendez que je retrouve… la géométrie projective et la géométrie euclidienne. P – Oh là…. Les grands mots. A – Je ne crois pas me tromper mais faudra que je lui demande de confirmer car moi aussi ça me dépasse. "Présence des formes" - village Les Angles (près d'Avignon) (30) - 1988 A – Ainsi, c’est avec de la ficelle qu’il s’est mis à aborder l’espace puisqu’il ne pouvait pas s‘acheter de laser. D’ailleurs s’il appelle sa ficelle le laser du pauvre ce n’est par dépit puisqu’en fait c’est de l’espace qu’il veut parler. C’est ainsi qu’il a poursuivi ses préoccupations présentes dans ses peintures où il cherchait à rendre la lumière dans l’espace. Comme je vous disais qu’il ne pouvait considérer l’espace sans les objets qui l’habitent, il a porté une attention à l’environnement qui accueillerait ses interventions. P – Ce n’est pas de la sculpture, il me semble. A – Vous avez raison. Certains parlent d’installations, lui nomme cela des investissements. Si on devait encore évoquer la sculpture on devrait dire que ce sont les objets, l’environnement qui deviennent la sculpture et ses lignes un réseau de relations. Certains évoquent l’image de toiles d’araignées. Ils n’ont pas totalement tort car l’araignée s’appuie sur les objets présents pour tisser sa toile. Mais ce que réalise l’araignée est un objet, dans l’espace certes, mais cela demeure un objet autonome avec une finalité, alors que ses lignes n’ont aucune autre finalité que celle de matérialiser les relations et ainsi nous révéler ces relations spatiales qu’entretiennent les objets présents. P – C’est abstrait et intellectuel tout ça. A – On pourrait en dire tout autant de vos travaux. P – Comment ça ? A – Ben, ne me dites pas que ce que vous avez peint correspond à la réalité. C’est une réalité sur laquelle vous aviez besoin de vous appuyer mais que vous interprétiez pour nous livrer les relations, si je peux dire, que vous entrevoyiez. Même si la composante sensible est présente c’est tout de même le résultat d’une pensée. P – Oui mais une pensée du corps, pas de la tête. A – Bien sûr, mais si on ne détache pas la tête du corps… Tenez, ça me fait penser à Mondrian. On peut faire des Mondrian à la pelle avec des machines mais lorsqu’on est face à une peinture de Mondrian on perçoit immédiatement ce qu’elle a de sensible et ce que la machine a de froid. Je pense tout particulièrement à sa série sur l’arbre où on voit, au fil des tableaux, comment cette pensée extrait lentement ce qui finira en simples droites. Mais des droites faites au pinceau, avec toutes ces petites imperfections, font la différence avec une pensée purement intellectuelle détachée de la sensibilité et sans vibrations. Tenez, encore, un mathématicien peut penser à une droite, il la voit disons dans sa tête. Il ne ressent pas nécessairement le besoin de la représenter. C’est tout de même autre chose si cette droite est représentée par une ficelle ou un trait de crayon, un sillon gravé. Elle conservera son idée de droite mais elle aura la sensibilité de ce qui la représente. Mon ami m’a dit que c’était, inconsciemment au départ, la raison pour laquelle il a décroché des mathématiques. Il aimait les mathématiques – cette façon de penser – mais il avait besoin de la matière sensible. Silence A – Je pense encore. Je pense à votre tête de taureau composée d’une selle et d’un guidon de vélo. Dans cet exemple vous concrétisez ce que nous avons de pensée d’une tête de taureau. Nous avons vu des têtes de taureau et à notre insu s’est imprimée une image abstraite de la tête d’un taureau que nous n’avons jamais épluchée. Par ce rapprochement de deux objets décalés de la réalité, par leur simplicité, vous nous exposez cette abstraction qui est la relation qu’entretiennent entre elles toutes les têtes de taureau. Mais cette abstraction s’incarne dans ces deux objets familiers que nous n’aurions pas songé rapprocher. C’est pour moi intellectuel mais d’une intellectualité sensible. Vous êtes bien d’accord qu’un scientifique n’aurait jamais décrit ainsi la chose mais quand il verrait votre sculpture-assemblage il reconnaitrait comme chacun une tête de taureau et que cette image restera gravée dans sa mémoire.
P – Qu’est-ce que tu es bavarde, Aphrodite. A – Et vous donc, mais c’est avec le crayon… tous ces dessins. Vous n’arrêtiez pas. A – L’espace, Monsieur Picasso,… il va nous falloir de la place. D’abord, y aurait-il de l’espace s’il n’y avait pas d’objets distincts ? P – Oh, là, tu deviens sérieuse Aphrodite. Où est-ce que tu es allée pêcher cela ? A – Je n’ai pas péché, je tiens ça de mon ami. C’est lui qui pense… moi je suis. Enfin, j’essaie plutôt de suivre et ne pas dire de bêtise. P – Poursuis alors. A – Eh bien, il me disait que s’il n’y avait rien, d’abord nous ne serions pas là et qui pourrait dire qu’il y a de l’espace ? Peut-être Dieu, qui aurait raté sa création, aurait fourni la boîte mais n’aurait pas eu assez d’imagination pour savoir quoi mettre dedans. P – Nom de dieu, ça devient profond. A – Profond peut-être mais creux. Certains imaginent que dans ce vide il y aurait introduit quelque chose comme le vide quantique. Ne m’en demandez pas plus, je n’ai rien compris à cette histoire-là. P – Ça me dit quelque chose ça : le cantique des cantiques ? A – Non, « le cantique des quantiques »… un livre que mon ami a dans sa bibliothèque, alors qu’il n’a jamais lu la Bible. Bref, un jour - enfin, pour dire comme ça - la soupe ou la mayonnaise aurait prise et dans la boîte pas bien grande, bien moins grande qu’une tête d’épingle, ça se serait mis à grandir. Un joyeux bordel et c’était chaud, mais pas à la manière de vos demoiselles du bordel d’Avignon. Bon, moi ce qui me gêne là-dedans c’est que ce qu’ils appellent vide quantique ce n’est pas « rien ». Peut-être que Dieu se soit dit « Bon Dieu, mais c’est bien sûr.. » P – Ça c’est l’inspecteur Bourrel, dans « les cinq dernières minutes » qui l’a dit. A – Comment ? P – Pas grave continue. Ça m’intéresse. A – Ça se bousculait fort et paraît-même que si il n’y avait pas eu une erreur de parcours, un déséquilibre ça aurait pu revenir au vide. Les plus et les moins se bouffant l’un l’autre. Enfin, c’est comme ça que je comprends. On pourrait dire alors que Dieu n’aurait pas tout contrôlé. Dans le même temps la boîte qui contenait tout ça s’est mise à grandir et ça s’est moins bousculé. Paraît même que la boîte qu’ils appellent univers continue encore à grandir. Et c’est cette boîte là qu’on pourrait dire l’espace. Ne me demandez pas pourquoi elle est plus grande que ce qu’elle contient ? Parce qu’on sait qu’il y a beaucoup de vide dans l’espace. Les mathématiciens disent que l’espace existe même sans boîte ni objets concrets, que la boîte dont on parle se situe elle-même dans l’espace qui peut être infini. Bon, les mathématiciens sont des anges, ils se situeraient entre Dieu et nous. Non pas que tout leur soit permis mais ce sont de purs esprits. P – Les mathématiciens des anges, ah, ah, ah ! Ça me plait et je comprends pourquoi je ne suis pas devenu mathématicien…. Je suis loin d’être un ange. A – Attention, Monsieur Picasso. Si les mathématiciens sont des anges cela ne veut pas dire que tous les anges sont mathématiciens, mais certes, si vous n’êtes pas un ange… enfin je dis ça comme ça… P – Mathématiciens des anges, des purs esprits ? A – Bien sûr, vous êtes comme moi. Faut bien que ces purs esprits habitent un objet concret, un corps, sinon, vous voyez comme moi, on ne les verrait pas. Un peu comme leur espace sans objet ça fait pfuit ! P – L’espace comme tu dis, c’est quoi finalement. A – Eh bien ce sont les relations, le dialogue que les objets peuvent entretenir entre eux. Certains objets sont proches, d’autres lointains et s’ils veulent se rapprocher les uns des autres, par exemple, ils ne pourront pas le faire n’importe comment. Nous on connaît la ligne droite. Si je veux aller au plus vite vers vous, ici, je vais aller en ligne droite ce n’est pas impossible. Mais rappelez-vous l’image de l’oignon que j’évoquais au début de notre échange. Dans cet espace-là plus de ligne droite, plus de plan. Si vous êtes sur la même couche je suivrai une courbe…. mais si vous êtes sur une autre couche je ne sais même pas comment je pourrai vous atteindre. Dans notre espace à nous, on peut tirer des lignes droites entre les objets… il faut entendre tirer au sens propre c’est à dire qu’il faut bien s’accrocher à deux endroits et tirer, surtout si c’est de la ficelle. Il faudra plus ou moins long de ficelle selon que les deux objets sont proches ou éloignés. C’est un peu bête comme choux mais cette ficelle va nous révéler ou rendre sensible ce « vide » qui sépare les objets. On pourrait imaginer autre chose, comme nous déplacer physiquement de l’un à l’autre. Encore que ce n’est pas toujours possible ou facile. En tout cas il va falloir faire une action qui va nous renseigner, sinon de ce vide qui nous sépare on n’aura qu’une idée abstraite et parfois fausse. Un peu comme l’arbre qui cache la forêt parfois. P – Et si il y a un mur qui sépare les deux objets ? A – D’abord ce mur est un objet. Dans ce cas les mathématiques vont nous être utiles. Elles vont nous permettre, si j’ose dire, de traverser le mur et atteindre en ligne droite ces deux objets… en nous accrochant au mur bien entendu. P – Euh ? A – Je vois ce que vous voulez dire. Bien sûr on ne va pas traverser concrètement le mur mais nous y accrocher de part et d’autre et si un spectateur a l’occasion de voir ensemble les deux objets et le mur, il verra la ligne droite tendue entre les deux objets. P – Je saisis un peu ce que tu veux dire. A- Mais un autre cas peut se présenter. Imaginez qu’entre les deux objets il y ait un champ magnétique, un champ magnétique très puissant, un aimant colossal, et que ma ficelle soit un fil de fer… je ne pourrai pas, même en tirant fort, joindre les deux objets en ligne droite. Le fil de fer sera courbé.
P – Je me rappelle d’une expérience qui avait été effectuée à l’occasion d’une éclipse de soleil. C’était en 1919, je crois ; et qui a confirmé la théorie de la relativité. La déviation de la lumière à l’abord du soleil. Je n’ai rien compris mais cela nous intéressait. Enfin certains artistes. On parlait de cette relativité et de ces espaces à quatre dimensions. Certains même sont allés jusqu’à dire que le cubisme s’en serait imprégné. Je ne dirais pas qu’ils avaient tort parce qu’à notre manière ces sujets là nous intéressaient. Ils nous intriguaient. A – Voilà ce qui illustre que l’espace ne peut pas se définir sans les objets qui l’habitent et les relations physiques qu’ils entretiennent entre eux. C’est là, je pense, que mon ami rejoint Einstein qui dit que l’univers ou la géométrie de son espace est définie par les objets qui le composent et que c’est cela qui caractérise les trajectoires quand on se déplace. Paraît même qu’il y a des objets mystérieux qui engouffrent tout ce qui s’en approche. Ils appellent ça des trous noirs. C’est troublant parce que c’est comme si tout disparaissait. Ça devient abstrait pour moi à ce stade-là. Ben, lui vous expliquerait cela mieux que moi. P - Je ne connais pas les lasers. C’est quoi ? A - C’est vrai, vous ne pouviez pas connaître vu qu’ils se sont développés dans le public dans les années 1980. Disons que c’est de la lumière. Pour ce qui nous concerne ici, d’ordinaire lorsqu’on a une source lumineuse elle émet de la lumière dans toutes les directions ou bien lorsqu’on a un bon projecteur dans un faisceau plus ou moins étroit, alors que le laser émet un pinceau lumineux, un rayon qui ne s’élargit pas ou très peu sur de longues distances. C’est certainement plus compliqué mais c’est ce que j’ai compris et qu’il avait retenu comme une solution pour tracer des lignes ou figures géométriques dans l’espace et sur de très grandes dimensions. Après cela il me faudrait vous parler d’holographie mais c’est un nom barbare qui serait long à développer. P - On dira qu’il s’est passé des choses depuis mon absence. A - Et ce n’est pas tout. Regardez ce qu’il vient de m’envoyer. P - Comment ça ? A – Regardez, là. P - Tu te paies ma tête. Ou bien, plutôt, celle du Caravage. C’est quoi cet engin-là ? A - Ca c’est un iPhone. On peut téléphoner, prendre et envoyer des images, écrire des messages. Si vous voulez vous pouvez lui écrire un mot. P - Je ne sais pas, moi ? A - Attendez je vais lui écrire « Arrête tes seins … je ris :- »… c’est parti. Il a déjà dû le recevoir. Attendons, il va sans doute nous répondre. P - Entre la tête d’Holopherne et l’ananas… je ne trancherai pas. Mais comment peut-on faire cela ? A - Ah, Monsieur Picasso ! Vous seriez surpris de découvrir tout ce que la technologie nous a fourni depuis votre départ chez les Bienheureux. Ah ! il vient de répondre. Il nous envoie sa litanie des seins. Regardez. P - C’est trop petit. Je n’arrive pas à lire.
A - Attendez je vais agrandir. P – Sein Bol, Sein Doux, Sein Dycat…. L’esprit Sein est descendu sur lui pourrait-on dire :-)) A – Je vais lui demander de nous envoyer son étude sur la naissance de l’irrationnel. P – Oui, mais sur votre engin on ne voit rien. C’est trop petit. Je ne sais pas comment vous pouvez vous satisfaire de ça. Parle-moi d’espace plutôt. "Polaroid garden" Installation avec le Cosmos Kolej - Wladislav Znorko en 1985 au centre culturel de Feyzin (69) A - Puisque je sens que vous ne m'ajouterez pas à vos demoiselles, je vais poursuivre en vous parlant de son parcours. P - Si je t'avais connue en ces temps, Aphrodite, ... A - Vous vous défaussez. Mais bon, P - Laissons cela aux faussaires, veux-tu ! A - Soit. ... Ces quelques années consacrées à refaire le chemin de l'art contemporain l'avaient éloigné de ses amours anciennes, de La Tour, Rembrandt et il se sentait un peu perdu, si bien qu'il avait même repris l'enseignement tout en pensant à l'espace. Qu'est-ce que l'espace ? Il avait fait l'expérience, une fois, en s'allongeant sur le sol, fixant le ciel bleu sans nuage. Plus de repère, tout était un, comme dans les monochromes d'Yves Klein. Comment, dans cet espace uniforme, distinguer les distances. Passa un oiseau qui semblait lointain et il songea : comment un oiseau perçoit-il l'espace, lui qui n'est pas astreint comme nous à suivre des surfaces ? Silence Du coup je ne sais plus quoi dire... il m'a raconté tellement de choses.... P - Prends ton temps, tu sais depuis que je suis là où je suis.... le temps ne se mesure plus. A - Bien, voyez vous, l'espace c'est du vide, c'est rien si il n'y a pas d'objet.... comme ce ciel bleu si il n'y avait eu cet oiseau à passer. Comme là où vous êtes, le temps se serait également évanoui. Sans doute aurait-il eu faim et son estomac lui aurait signalé. L'espace ne serait, si j'ai bien saisi, que la présence des objets et les relations qu'ils entretiennent. Mais les relations ne sont pas directement visibles. Je me souviens d'un exemple qu'il m'avait donné pour me faire comprendre. Si je mets dans l'espace des fils parallèles à égale distance, quelque soit l'endroit où je me situerai je les percevrai comme parallèles malgré la perspective et d'une manière si régulière que je serai tenté de dire qu'ils sont équidistants. Il y a une loi qu'inconsciemment ou bizarrement j'ai inscrit quelque part qui me donne comme le droit de l'affirmer. On pourrait tricher, modifier la relation. Au théâtre on a créé de fausses perspectives. Cela fonctionne car le spectateur ne se déplace pas. Si il se déplaçait il percevrait encore ces droites comme parallèles mais la perception de la distance serait perturbée. Comme les choses ne se mettent pas en place spontanément, il me racontait une première expérience qu'il avait faite lors d"une séance de travaux pratiques à son entrée à l'école centrale. C'était en 1969, le laser venait tout récemment d'être élaboré. Il se trouvait qu'il y en avait un et pour rigoler il s'amusa à le pointer sur le tableau d'une salle de cours où le professeur était en train d'écrire. Il put suivre les réactions dudit professeur cherchant d’où pouvait bien venir ce point rouge lumineux qui suivait sa main. A cette époque personne ou presque ne connaissait l'existence des lasers et aucune torche n'aurait pu produire une tache aussi petite. Amusé et encouragé, comme c'était un soir de décembre et que le sol était enneigé, il s'était amusé à suivre les gens et puis à diriger le rayon vers les immeubles lointains. A cette distance la zone éclairée était assez étendue et il avait orienté le rayon de manière à rentrer par la fenêtre. de sorte qu'une bonne surface à l'intérieur soit éclairée en rouge. Il se souvient d'avoir vu les gens ouvrir leur fenêtre ou bien sortir sur le balcon. On ne saura jamais ce qu'ils ont pu penser mais on peut imaginer qu'ils aient songé à quelque manifestation d'extraterrestres. Parallèlement il y avait également là un magnétophone six ou huit pistes Phillips. Il se mit à songer que s'il utilisait deux pistes pour enregistrer le son et employait les quatre ou six autres pistes pour enregistrer un signal binaire susceptible de piloter des hauts parleurs disposés dans l'espace, il pourrait spatialiser et diffuser le son dans l'espace. Il n'avait, bien entendu, jamais entendu parlé de la musique concrète et électroacoustique. Bien entendu, également, il ne réalisa jamais cette expérience car il aurait fallu du matériel et y consacrer bien du temps. Mais l'idée de pouvoir piloter le son dans l'espace lui restait en tête. En ce qui concerne le rayon laser, bien plus tard, en 1985, il y avait un rayon laser vert très puissant et visible qui traversait la ville de Lyon depuis le sommet de la tour du Crédit Lyonnais à la Part Dieu jusqu'à la basilique sur la colline de Fourvière, distante d'environ deux à trois kilomètres. C'était impressionnant mais certainement si onéreux qu'il ne pouvait pas envisager d'en posséder. Ce qui l'avait marqué dans cette expérience c'était à la fois la rectitude, la finesse, la longueur de la ligne ainsi que sa matière, mais aussi la liaison, la relation qu'elle établissait dans l'espace entre deux points significatifs qu'on ne songeait pas à rapprocher d'ordinaire. Notez que le rayon était visible car, soit il y avait du brouillard, soit assez de poussières dans l'air, mais également parce que le laser était puissant. Si puissant que celui-ci devait être refroidi en permanence par un circuit d'eau. A - Encore une ou deux peintures de cette époque. P - Ce qui est étonnant c'est, si je te crois,... c'est qu'il ignorait le cubisme. A- Mais vous également, vous ignoriez le cubisme lorsque vous avez peint vos demoiselles. P - Et pour cause... A - Je pense que lorsqu'on cherche quelque chose qui nous est propre, c'est une aventure personnelle et il est préférable de n'avoir pas trop de connaissances. Elles nous brident ou plutôt nous sommes tentés, voire entrainés à emprunter les voies qui ont été tracées. P - C'est certain mais il faut avoir le courage de briser les cadres puis se jeter dans le vide. Je trouve que ton ami a eu un certain courage parce qu'il n'est pas simple de quitter ce monde rassurant des mathématiques pour s'aventurer dans celui imprécis de l'art. A - Je pense que c'est la richesse de son ignorance, de son inculture qui l'a aidé. Si il avait été élevé dans un milieu qui lui aurait permis de connaître l'histoire de l'art il aurait suivi le chemin que ses études lui ouvraient. Peut-être aurait-il été sensible à l'art et serait-il devenu collectionneur ? A - Ce qui confirme, pour moi, qu'il vaut mieux être ignorant c'est qu'après avoir découvert le cubisme et tous vos travaux, il a été emporté par le courant. Vous êtes devenu son maître , comme Nicolas de Staël et Bram Van Velde ensuite. Bien qu'à cette époque il affirmait ne pas copier, maintenant il reconnait qu'il n'en était pas loin.
P - Nous avons tous nos maîtres. Il n'y a pas lieu d'en rougir et on dira qu'il faisait, un peu tard sans doute, le chemin de l'école. A - Exact. C'est ce qu'il dit également. Il copiait ou plutôt essayait d'extraire ce qu'il y avait de particulier mais qu'inconsciemment il avait repéré. P - Sans doute, parce que passer des maths à Bram Van Velde , Nicolas de Staël et moi-même, on ne peut pas dire que ce soit une ligne droite au sens mathématique. A - Mais je pense que dans cette errance il conservait ce que les mathématiques lui avaient montré de cohérence. Bien sûr il faudrait ajuster le sens à cohérence... tenez pourquoi pas co-errance. Errer en compagnie des maîtres que l'on retient en ne sachant pas la raison. Cela fut de courte durée finalement et il a repris son chemin avec un peu plus de clarté. Silence A - Tenez, il me revient en parlant cohérence, co-errance. Il m'a souvent dit qu'en toute ignorance sa première image des mathématiques c'est le petit Poucet et ses cailloux dans la poche. Bien entendu il n'a jamais lu le conte mais il en avait suffisamment entendu parlé pour avoir retenu cette image des petits cailloux qu'il faut semer afin de s'y retrouver lorsqu'on se sent perdu. Enfant il ne pouvait pas formuler cela, ni en avoir réellement pris conscience mais, comme il me dit, c'est qu'avoir retenu et intériorisé cela était la marque qu'était inscrit en lui cet esprit mathématique. Qu'est-ce qu'il y a de mathématique ici, me demanderez vous ? Pour lui, faire une démonstration mathématique et surtout lorsqu'on recherche, c'est établir un chemin entre une hypothèse et un conclusion dont on a une vague intuition, en respectant les règles et la cohérence. Parfois dans cette aventure on peut se sentir perdu. On est face à une forêt vierge où, comme en art, les chemins ne sont pas tracés (pour simplifier). Alors il faut semer des petits cailloux de manière à faire chemin arrière lorsqu'on sent que c'est trop risqué. Les petits cailloux nous permettent de revenir au moins jusque là où on est assez sûr de soi. P - Ainsi vu, je me sentirais bien mathématicien :-) A - Bien évidemment, lorsqu'on voit vos différentes périodes et vos études, on voit bien qu'il y a des petits cailloux qui ont été des repères vers lesquels vous êtes revenu pour prendre un nouveau départ. A - Vous vous souvenez de l'image que je vous présentais précédemment ? Je vous avais dit que sa culture était plutôt agricole qu'artistique. Bien entendu, il n'avait jamais entendu parlé de cubisme et si il avait entendu parlé de vous c'était pour dire qu'une peinture moche c'était du Picasso. Ses maîtres à lui il les avaient rencontrés soit dans son "Lagarde et Michard" au lycée ou bien quelques revues. Il s'était arrêtè sur Rembrandt et de La Tour. Peut-être parce que son père étant forgeron il avait été impressionné tout petit enfant par la lumière de la forge. En tout cas c'était la lumière dans l'espace qui l'intriguait, l'intéressait. Ondes, particules, il connaissait par ses études mais il se demandait comment représenter la lumière comme une matière qui emplit l'espace. Il me dit combien, bien plus tard, il aura eu un choc face aux installations de James Turrell. Mais également lors d'une visite aux forges du Creusot, pendant ses études, il avait été impressionné par un bloc de métal d'au moins vingt tonnes sortant du four et porté au rouge qui rayonnait d'une lumière matière. De la Tour et Rembrandt en relief et à quelle échelle ! P- Hum ! A - Eh bien, c'est ça qu'il a cherché à rendre. Matérialiser la lumière dans l'espace et il a songé à des choses comme des facettes qui empliraient l'espace et reflèteraient la lumière. Un peu comme les poussières qui flottent en l'air et scintillent au soleil. Il était loin de songer au cubisme mais lorsqu'il a découvert un tout petit peu plus tard votre cubisme analytique et celui de Braque, il a compris quelque chose. Quelque chose comme... comment dire ? Sinon qu'il n'en était pas loin, même si sa quête n'était pas la même. Il ne reste guère d'images de cette période pour vous montrer la progression mais cela me fait songer à vos travaux pour en arriver à ces demoiselles d'Avignon. Toute proportion gardée et sauf le respect... P - Laisse tomber ton respect et montre-moi, plutôt. A - Voilà ce que je peux vous montrer. P - Tu me dis qu'il ne connaissait rien au cubisme ? A - Certes non. A l'époque de l'image d'en haut il faisait plutôt ça. P - Un peu maladroit mais on sent bien son attrait pour de La Tour.
A - Certes, je reconnais ...l'inculture. On peut faire de grandes études et être bien ignorant. Mais tout de même, il travaillait sans modèle et c'est en mettant en œuvre des réflexions géométriques qu'il élaborait ses volumes. Vous vous souvenez que j'ai évoqué la géométrie projective. Là, il me dit qu'il travaillait plutôt la géométrie euclidienne et qu'à cette époque, alors que l'informatique s'ébauchait, que rien en termes d'images numériques n'étant encore vraiment élaboré c'est en considérant des matrices isométriques ( mais là faut que je me méfie... je peux dire des bêtises... il me corrigera) qu'il traitait les mouvements et les volumes.... et cela à la main, car il n'y avait pas encore de calculettes, en s'appuyant sur une structure comme un squelette qu'il habillait ou enveloppait à tâtons... et il n'était pas doué en la matière. P -Hum ... A - Il m'a dit aussi qu'à cette époque il envisageait de considérer l'espace comme un oignon... P- Comme un oignon ? A - Oui, comme un oignon. Plus de plans superposés comme on imagine l’espace et pas infini (l'univers serait fini selon certains et courbe... ça a à voir avec la relativité parait-il) et que du coup ce serait des couches comme les oignons qu'il faudrait considérer. P - Tu vas me faire pleurer si tu continues :-) A - Il parait que cela demandait beaucoup de calculs et il a vite renoncé. Rappelez-vous, il n'y avait pas de calculettes. Mais il a tout de même fait des bouts d'essais. P - Aphrodite, enlève ton chapeau...
A - C'est pas un chapeau, je vous ai déjà dit ! C'est une cornette, même que c'est une surface développable comme m'a dit mon ami qui l'a faite dans du papier. P - T'énerve pas. Enlève ton... ta surface développable et puis ta parure. A - Vous voyez, vous allez vous y mettre à parler math. Puis ma parure, comme vous dites c'est mon paréo. Oui, mais je vais me retrouver toute nue. P - Oh! Là, ton paréo, d'accord parait haut mais il ne couvre pas le bas :-) A - Attention. Faudra pas que mon ami le sache car avec vous il pourrait s'imaginer... P - T'inquiète. Là où je suis et où j'en suis, tu n'as rien à craindre. Juste pour retrouver un peu de l'émotion que j'ai eu à l'époque où je travaillais mes demoiselles. A - Je vous plais ? P - Comment donc. C'est ma jeunesse qui remonte à la surface. A - Attention, ne m'emmenez pas en bateau ? Pas question de m'avoir... P - Lavoir,... bateau lavoir. A - Subtil. Je n'y avais pas songé... c'est vrai. Vous étiez un chaud lapin, même un lapin agile à ce qu'on dit. P - Lapin Agile... on met des majuscules. C'est un nom propre. A - Vous savez, moi et l'hygiène, ça fait presque deux. Si vous saviez où mon ami m'a trouvé. Ce n'était pas dans l’opprobre du ruisseau mais l'eau n'y était guère propre. P - Il vous a sauvé en sorte car avec l'humidité vous auriez éclaté. A - Sûr, car si je n'ai jamais eu la gueule de bois... je ne suis que de bois. P - C'est un peu raide votre aventure |
Auteurartiste plasticien et mathématicien je ne saurais séparer les deux. Archives
Mars 2019
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