A - Encore une ou deux peintures de cette époque. P - Ce qui est étonnant c'est, si je te crois,... c'est qu'il ignorait le cubisme. A- Mais vous également, vous ignoriez le cubisme lorsque vous avez peint vos demoiselles. P - Et pour cause... A - Je pense que lorsqu'on cherche quelque chose qui nous est propre, c'est une aventure personnelle et il est préférable de n'avoir pas trop de connaissances. Elles nous brident ou plutôt nous sommes tentés, voire entrainés à emprunter les voies qui ont été tracées. P - C'est certain mais il faut avoir le courage de briser les cadres puis se jeter dans le vide. Je trouve que ton ami a eu un certain courage parce qu'il n'est pas simple de quitter ce monde rassurant des mathématiques pour s'aventurer dans celui imprécis de l'art. A - Je pense que c'est la richesse de son ignorance, de son inculture qui l'a aidé. Si il avait été élevé dans un milieu qui lui aurait permis de connaître l'histoire de l'art il aurait suivi le chemin que ses études lui ouvraient. Peut-être aurait-il été sensible à l'art et serait-il devenu collectionneur ? A - Ce qui confirme, pour moi, qu'il vaut mieux être ignorant c'est qu'après avoir découvert le cubisme et tous vos travaux, il a été emporté par le courant. Vous êtes devenu son maître , comme Nicolas de Staël et Bram Van Velde ensuite. Bien qu'à cette époque il affirmait ne pas copier, maintenant il reconnait qu'il n'en était pas loin.
P - Nous avons tous nos maîtres. Il n'y a pas lieu d'en rougir et on dira qu'il faisait, un peu tard sans doute, le chemin de l'école. A - Exact. C'est ce qu'il dit également. Il copiait ou plutôt essayait d'extraire ce qu'il y avait de particulier mais qu'inconsciemment il avait repéré. P - Sans doute, parce que passer des maths à Bram Van Velde , Nicolas de Staël et moi-même, on ne peut pas dire que ce soit une ligne droite au sens mathématique. A - Mais je pense que dans cette errance il conservait ce que les mathématiques lui avaient montré de cohérence. Bien sûr il faudrait ajuster le sens à cohérence... tenez pourquoi pas co-errance. Errer en compagnie des maîtres que l'on retient en ne sachant pas la raison. Cela fut de courte durée finalement et il a repris son chemin avec un peu plus de clarté. Silence A - Tenez, il me revient en parlant cohérence, co-errance. Il m'a souvent dit qu'en toute ignorance sa première image des mathématiques c'est le petit Poucet et ses cailloux dans la poche. Bien entendu il n'a jamais lu le conte mais il en avait suffisamment entendu parlé pour avoir retenu cette image des petits cailloux qu'il faut semer afin de s'y retrouver lorsqu'on se sent perdu. Enfant il ne pouvait pas formuler cela, ni en avoir réellement pris conscience mais, comme il me dit, c'est qu'avoir retenu et intériorisé cela était la marque qu'était inscrit en lui cet esprit mathématique. Qu'est-ce qu'il y a de mathématique ici, me demanderez vous ? Pour lui, faire une démonstration mathématique et surtout lorsqu'on recherche, c'est établir un chemin entre une hypothèse et un conclusion dont on a une vague intuition, en respectant les règles et la cohérence. Parfois dans cette aventure on peut se sentir perdu. On est face à une forêt vierge où, comme en art, les chemins ne sont pas tracés (pour simplifier). Alors il faut semer des petits cailloux de manière à faire chemin arrière lorsqu'on sent que c'est trop risqué. Les petits cailloux nous permettent de revenir au moins jusque là où on est assez sûr de soi. P - Ainsi vu, je me sentirais bien mathématicien :-) A - Bien évidemment, lorsqu'on voit vos différentes périodes et vos études, on voit bien qu'il y a des petits cailloux qui ont été des repères vers lesquels vous êtes revenu pour prendre un nouveau départ.
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Auteurartiste plasticien et mathématicien je ne saurais séparer les deux. Archives
Mars 2019
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